Naranag

Ancien lieu de pèlerinage hindou, Naranag est un petit village au nord de l’Inde, au coeur des Monts du Cachemire. A 20km de la frontière du Pakistan et isolé de tout, Naranag est aujourd’hui le point de départ de nombreux treks.

Naranag

« Les fleurs et les montagnes : deux manifestations extrêmes de la nature, l'infiniment petit et l'infiniment grand. D'un côté, le déchaînement de forces apocalyptiques que l'homme est impuissant à maîtriser, de l'autre, une complexité et un raffinement dans la perfection qui dépassent son entendement. Et l'homme ne peut qu'admirer.. »

Au nord des terres du Cachemire, à quelques heures de marche seulement de la ligne de contrôle. Ce petit village vit et respire entre montagne et vallées alentours.

Décrit comme village touristique par les quelques sites internet, on a du mal à croire que ce hameau de quelques maisons ait été un lieu de pèlerinage hindou. Et pourtant.

Un complexe de ruines de temples anciens et complètement pillé jouxte le village et attire les visiteurs. Alors que les minarets résonnent dans la montagne, la rivière s’écoule tranquillement en contrebas et les vaches et chevaux broutent l’herbe fraiche du cachemire. Ils la trouveront cachée sous de très nombreux plastiques et autres ordures abandonnées par les habitants.

Nature poubelle contrastant avec la beauté des lieux, j’ai passé deux semaines ici. En immersion totale chez une famille de cachemiris. Et j’ai tant à vous partager.

Premiers pas à Naranag.

Après deux heures de route dans la montagne verdoyante, le bitume se dégrade petit à petit pour devenir nids de poule et gravats. Nous arrivons enfin. Une dizaine de maisons parent la chaussée et quelques mètres plus loin, la route s’arrête. Fin du trajet dans une cours d’école accolée aux ruines d’un temple ancien. Ici à 2200 mètres d’altitude, la montagne commence. Si vous voulez continuer, il faudra y aller à pieds. 

Afin que vous compreniez mieux mon immersion dans cette partie du monde et le quotidien des quelques locaux, voici quelques explications et contexte.

Comme expliqué dans l’article précédent sur Srinagar, capitale du Jammu et Cachemire (à lire ici), cette région du monde est sous tensions permanentes. Il en est encore autre chose ici à seulement quelques kilomètres de la Ligne de contrôle, à Naranag. Cette ligne est une zone minée entourée de barbelés de 2 à 4 mètres de haut et l’accès à la montagne est contrôlé par un permis délivré par le gouvernement. Selon les cartes que vous regarderez, certaines donneront cette partie à l’Inde quand d’autre la donneront au Pakistan. Qui du Guide du Routard ou du Petit futé a raison ? Même les gouvernements eux mêmes ne le savent pas. Je vous invite vivement à lire cet article pour mieux comprendre.

L’islamisme régit la vie des habitants qui d’eux mêmes, appliquent la Charia. Les enfants jouent avec des roues et des cailloux, les petites filles de 2 ans sont déjà voilées et je suis choquée par l’état de la nature. Par manque d’éducation sûrement, les alentours sont une véritable poubelle à ciel ouvert. On ne ramasse pas ses déchets et il est normal de tout jeter par terre. C’est affligeant. En en parlant avec mon hôte, il accuse les hindous (soit les militaires et leurs familles) qui eux-mêmes accusent les locaux. La tension entre ces deux peuples est réellement ancrée dans le quotidien de chacun, et la haine est palpable.

Naranag, un quotidien hors du temps.

Ici, les coupures de courant sont fréquentes et longues. Un simple fil de fer planté à un clou dans le mur relie la maison à la ligne à haute tension. La plaque de cuisson est un bricolage avec une vieille résistance de sèche-linge et le réseau téléphonique est quasi inexistant. L’eau chaude est une légende et les toilettes sont à la turque. D’après les locaux, le gouvernement provoque les coupures de courants et coupe le réseau pour isoler les habitants, de peur qu’ils ne clament leur désir d’indépendance et pour les contraindre à l’obéissance.

7 mois par ans, l’hiver isole et menace les habitants. La neige prend toute la place et les chevaux et motos (moyens de transports les plus utilisés ici) sont immobilisés. Les chevaux meurent de froid et les hommes partent en convoi pendant 2 jours afin d’aller, à pieds, chercher des produits frais à la ville à une dizaine de kilomètres d’ici. Pendant ce temps, les femmes et enfants se lovent dans des couvertures près du feu. Les morts sont fréquents et mon hôte m’explique clairement qu’ici, accoucher ou être malade en hiver c’est être condamné à mort. L’accès au soins est très compliqué et l’hiver est rude.

Le quotidien ici est très contemplatif. Il n’y a rien d’autre à faire que de se reposer, de lire et de se promener. Quand j’ai fini tous mes livres j’écris. Je bois beaucoup de thé et joue un peu avec les enfants qui essayent sans succès de m’apprendre l’arabe. Dans cette région, on apprend l’anglais, l’hindie et l’arabe à l’école. Quand le soir tombe, je pars dans la montagne avec la femme de mon hôte. Il faut aller chercher Lala (sa vache) pour la ramener à la maison. Chaque soir et chaque matin, elle emmène sa vache dans la montagne, fait le pain puis attend que le temps passe. Elle a 26 ans, son mari en a 41. Ils ont trois enfants, et se sont mariés par ordre de leurs parents. Réalité d’un autre monde.

Trek de Gangabal Lake.

Naranag est le départ de beaucoup de randonnées. Je pars pour le trek de Gangabal Lake. 2,5 jours, 33 kilomètres et 2265 mètres de dénivelé positif.
D’abord, il faut aller à la ville afin d’obtenir le permis pour accéder à la montagne. Il faut avoir un guide et aller au commissariat. Imaginez un bureau de shérif où un homme habillé en général fume son cigare et tamponne le papier d’un air dédaigneux. Au petit matin, on charge les mules et l’on se met en route.

La première partie du trek est rude. Ça monte à pique entre les sapins, pour après quelques heures déboucher sur un immense plateau verdoyant. Le paysage me fait énormément penser au alpages chablaisiens, région d’où je viens. Vaches et moutons cohabitent dans ces prairies de haute montagne. Les sapins offrent de l’ombre aux fleurs de montagne et les odeurs des alpages viennent chatouiller les sommets enneigés alentours. A 4000 mètres d’altitude, la vie semble paisible. Pas facile d’imaginer que la nuit, tout devient menace car la ligne de contrôle n’est qu’à quelques kilomètres de là et qu’il n’y a pas si longtemps de ça, ce haut plateau n’était que scène de guerre.

Après un point de contrôle militaire au milieu de nulle part, nous arrivons enfin au lac de Gangabal. Tout est très calme et la surface d’un bleu profond reflète les sommets alentours. La neige recouvre les cimes qui nous entourent et contraste avec la douceur de l’alpage.
Nous installons la tente et la vie de camp se met en place. Ici, les chevaux ne sont pas attachés à un piquet mais on leur noue les jambes avant. Un bon repas, quelques jeux avec l’enfants et au lit. Le lendemain, ça sera tour du lac et orage, avant de redescendre au village.
Sur le chemin du retour, un cheval est tombé dans le ravin et le guide nous rappel la dangerosité de ces chemins escarpés et à flanc de falaise. La réalité de la haute montagne est bien présente et il ne faut pas oublier que chaque lueur de l’aube est une victoire pour les habitants des hauts monts du Cachemire.

Une journée de pêche à Naranag.

Après deux jours d’orage sans électricité, le soleil revient enfin. Mon hôte me propose d’aller pêcher à la rivière. J’accepte avec joie et nous partons, petites chaussures au pieds et livre dans un petit sac en toile pour une journée tranquille. Ça c’est ce que j’imaginais..
C’est en fait une journée dangereuse et éprouvante qui nous attend. Nous remontons le cours de la rivière afin de rejoindre LE coin parfait. A quel prix !

Nous nous retrouvons à escalader des talus, descendre des falaises et traverser des terrains escarpés et dangereux. En contrebas, le vide surplombe la rivière déchaînée par les orages des jours précédents. Il faut s’accrocher aux racines et vérifier chaque appuis pour ne pas glisser. Une cascade nous barre la route ? Pas de soucis. Nous voilà donc à chercher des prises au travers du rideau d’eau et à descendre en dévers une cascade d’une vingtaine de mètres. On débranche la partie risque du cerveau, on se concentre et on y va, un pieds après l’autre, avec assurance. Merci à mes 6 ans d’escalade ! C’est extrêmement dangereux et le moindre faux mouvement serait fatal. La puissance de l’eau me frappe le visage et chaque phalange est contractée pour ne pas lâcher. Je suis au milieu de nulle part, à descendre une cascade à mains nues et sans assurances pour une simple partie de pêche.

Nous arrivons enfin, trempés et épuisés. Après avoir récupéré des vers sous les cailloux et attrapé 2 poissons, nous allumons un feu. Je vide et prépare les deux poissons et improvise une plancha avec une pierre plate que je dépose sur les flammes. Nous reprenons des forces et entamons le retour. Une traversé de rivière sur un tronc d’arbre, des talus à remonter et un agneau égaré que nous ramèneront à la maison. Des singes curieux et enfin, le retour. 11h de marche/escalade pour pêcher quelques poissons.
Je m’en souviendrais longtemps ! Surtout quand mon hôte m’expliquera que des locaux meurent toutes les semaines sur ce « chemin ». Et que peut-être que ça n’est pas une bonne idée d’y amener les touristes et que c’était la première et dernière fois.. Effectivement ! 

Un autre regard sur le Cachemire.

Mon séjour ici, au coeur du Cachemire prend fin. J’ai aimé ces 15 jours ici, mais je dois dire que le contrast avec la “vraie vie” était intense et pas évident à vivre. Entre la différence culturelle, religieuse et le mode de vie opposé à l’occident. Entre la fatigue et la curiosité des gens qui me dévisageaient sans cesse, entre la solitude et l’isolement, la barrière de la langue et des différences culturelles hommes/femmes.. Cette expérience a été intense et déstabilisante.
J’espère avoir réussi à vous partager aussi justement que possible ces moments de vie hors du commun. Le Cachemire est connu de tous pour ses conflits historiques et est finalement une terre riche et magnifique si l’on ose se fondre dans sa culture pour vivre des instants uniques.

Liens et infos :

Naranag :
Logement : Khan GuestHouse. Pension complète chez l’habitant.
A faire : Gangdabal Lake (3 jours), Great Lake Trek (10 jours). Le propriétaire de Khan Guesthouse est guide de montagne et organise tout.
Les treks sont compris dans le prix du séjour.
Moyenne : 42€/jour/pers. (Ça semble très cher pour la région mais ce sont les prix. Les permis d’accès coutent cher et toutes les dépenses tant que vous séjournerez ici ont inclues dans ce prix).

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